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A l'aube des années 70, les 3,000 habitants de l'archipel des Chagos, dans l'océan Indien, sont déportés vers Maurice et les Seychelles. Planifié de longue date par les Britanniques et les Américains, leur bannissement vise à « faciliter » la construction de la plus grande base militaire yankee hors des Etats-Unis. Stratégique pour la surveillance de l’URSS pendant la Guerre froide, puis comme base arrière pour des interventions rapides au Moyen-Orient, la zone mérite bien quelques menues entorses au droit.
Sommés d’abandonner meubles et bétail, de ne se munir que d’une valise, les Îlois doivent aussi sacrifier leurs chiens. Qui seront gazés sous peine d’amende. Dans la panique, nombre d’enfants trouveront la mort, certains adultes choisiront le suicide plutôt que l’exil. « Ils auraient dû nous tuer », constate l’un d’eux. « Là, ils nous tuent avec le chagrin, la maladie, la misère, les tracas.»
Car, faisant fi des familles, la « cargaison » a été aléatoirement répartie entre Maurice et les Seychelles. Spoliée, déracinée, la communauté se mue en lumpen prolétariat, ostracisé par les natifs, reclus dans des bidonvilles…
Director's note
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Cette Histoire devait être dite. Il fallait raconter, au plus près de la Vérité, comment un peuple de l’océan Indien a été arraché à sa terre. C’est l’un des grands drames de l’histoire contemporaine, provoqué par la tricherie du plus fort, la GrandeBretagne, et subi par ceux qui en souffrent toujours, les plus faibles, les Chagossiens. C’est le combat des déracinés, qui exigent le droit de retourner vivre sur leur terre. C’est aussi celui de l’État mauricien pour rétablir sa souveraineté sur l’archipel. « Rann nu Diego ! » C’était le 27 mars 1981, quarante deux ans déjà… Je venais de rentrer de mes études de Londres après quatre ans d’absence et en attendant de repartir pour continuer mes études à Paris, je « tuais » le temps à flâner à Port-Louis, la capitale de l’île Maurice, ma ville natale. Ce jour-là, j’étais allé faire quelques pas dans le Jardin de la Compagnie. Le Jardin est un symbole de la colonisation française, un vestige des grandes heures de la Compagnie des Indes. Ceinturé de belles grilles, bordé de pontons et de grosses chaînes, c’est le territoire des arbres géants, les multipliants centenaires dont les lianes majestueuses touchent terre pour donner naissance à de nouveaux troncs, et dont les cimes semblent soutenir le ciel. Une jolie fontaine sculptée trône au milieu des allées, à côté d’un kiosque à balustrades à la toiture créole. C’est là que j’allais découvrir la réalité d’un problème qui, jusqu’alors, m’était resté largement étranger, celui des Chagossiens dont quelques uns, regroupés sous des tentes menaient depuis plus d’une semaine une grève de la faim pour obtenir le respect de leurs droits, regroupant leurs revendications autour du slogan « Rann nu Diego ! » (Rendez-nous notre Diego !). Le Jardin sera le théâtre et le témoin de leur combat. Cette rencontre allait me conduire à mieux appréhender des événements datant de presque vingt années déjà. A cette époque, c’est-à-dire au milieu des années soixante, les cessions de territoires entre Etats n’étaient plus guère placées, comme lors de la vente de la Louisiane par la France aux Etats-Unis en 1803, sous un aimable aspect commercial. Les guerres de conquête
étaient passées par là. Pourtant, dans le cas qui nous intéresse, c’est bel et bien d’un véritable achat qu’il s’agit, effectué par le gouvernement britannique concernant un certain nombre d’îles de l’archipel des Chagos, accompagné de l’expulsion de leur population vers Maurice et aussi vers les Seychelles. Une écriture vagabonde D’une part, les Chagossiens réclament leur droit au retour vers leurs îles et d’autre part, l’état mauricien réclame ces îles qui ont toujours été rattachées à l’île Maurice mais que les britanniques ont séparé de Maurice lors de l’indépendance de Maurice pour les louer aux Etats-Unis pour en faire la plus puissante des bases militaires du monde. L’histoire des Chagossiens présente cette dualité précieuse pour un documentaire historique où un passé tragique et oublié ressurgit dans le présent à l’aune d’une lutte quotidienne pour sa réhabilitation. Menant de front une bataille de rue – occupation de l’ambassade britannique de l’île Maurice – et une bataille juridique de Londres à Washington pour la reconquête de ses droits, le peuple chagossien nous conduit aussi dans les arcanes de sa condition misérable et du viol de sa mémoire. A la lumière de leur lutte évènementielle, au déroulement imprévisible, se dévoile l’ombre de la criante injustice dont ils furent victimes : la déportation secrète d’une population entière à l’initiative des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne réunis. L’enquête sur le passé et la douleur des témoins devient inséparable de l’investigation nécessaire aux avocats britannique, mauricien et américain pour obtenir réparation et des efforts parallèles des Chagossiens pour retourner sur leurs îles. Nous quittons le monde de l’interview à vocation informationnelle qui détaillerait les faits marquants de leur passé pour épouser celui d’une écriture plus vagabonde, plus passionnelle, plus poétique et ludique, voyageant au gré des développements dont nous sommes témoins pour mieux imaginer la mémoire renaissante.
La mémoire de ce qui n’est plus Mélangeant l’investigation, le film d’archives, le suivi d’un évènement, l’information brute de type news, l’interview de circonstance durant l’action, l’imaginaire
des témoins évoquant leur passé à Diego Garcia mais aussi leur projection dans le futur, le film n’épousera aucun de ces genres. Sa matière principale, son fil conducteur, c’est le sort de cette île, l’obsession qu’elle engendre chez les personnages qui nous mèneront à travers leur quotidien à la mémoire de ce qui n’est plus. Le paradis perdu n’est pourtant pas qu’une illusion ou le seul privilège de l’imagination. Des images du paradis existent. Tournées dans les années 50 par une équipe du Colonial Office, on y découvre une nonchalance insulaire insoupçonnée. Existait-il un monde parfait ? Dans le film du Colonial Office, une image furtive accroche toutefois l’attention. On découvre un homme blanc, (l’Administrateur), porté au pas de course sur une chaise par quatre Chagossiens. Diego Garcia a donc aussi son passé colonial. Plus qu’une dépendance, soumise autrefois au joug des colons français qui importèrent des esclaves du Mozambique et de Madagascar, elle devînt une monnaie d’échange. Napoléon la cèdera en même temps que l’île Maurice et les Seychelles aux Anglais victorieux à Waterloo. L’Angleterre ayant supprimé l’esclavage dans ses colonies, l’abandonnera à son tour aux trafiquants fournissant secrètement le marché mauricien en esclaves illégaux. Puis, après l’avoir vendue à une compagnie seychelloise pour la production de coprah, le gouvernement britannique la rachètera à la veille de la construction de la base militaire. « Diego Garcia, c’était à ma famille » s’exclamera l’administrateur retrouvé. Diego Garcia ne dérange pas seulement la conscience des démocraties anglophones mais s’inscrit aussi dans l’héritage colonial français et son mépris pour les peuples africains livrés à la fois aux esclavagistes et aux missionnaires. La cérémonie des flambeaux censée marquer la fin de l’occupation de l’ambassade britannique, nous montre prêtres et ouailles chanter ensemble en français, en créole et en latin, des cantiques à la gloire de Jésus.
Filmer à la fois la blessure et le mensonge Ce lourd passé colonial taillé dans la souffrance d’un peuple autrefois esclave, n’affecte pas du tout la nostalgie des Chagossiens pour leur île perdue. Les images du Colonial Office fournissent une référence visuelle irremplaçable et un pilier de la mémoire pour la Haute Cour de Londres. Une projection du film dans le cabinet londonien fait dire à l’un des témoins qui se reconnaît « Regarde ma case ». Un malaise nous empare à
constater le pouvoir émotionnel d’images somme toute désuètes mais qui deviennent insupportables à côté de la misère qui hante le quotidien des refugiés. Même à Londres la faim les tenaille, et le souvenir les hante. Pour cela, le film à l’image de sa fin, ressemble à une blessure qui s’ouvre, et se répand dans les rues de PortLouis, Victoria, Londres, Washington et d’ailleurs. « Rendez-moi mon île ! » supplie un témoin dans le hall de son hôtel londonien, avant de prendre le chemin de la Haute Cour de Justice. La supplique résonne d’autant plus que chez les avocats se déroule le fil d’Ariane révélant le cynisme des états-majors politico-militaires responsables de cette tragédie. Là « on conspire » dira l’avocat américain. On planifie froidement la déportation de tout un peuple. Parallèlement on construit le mensonge qui permettra de tromper les instances internationales comme les NationsUnies, et les instances législatives, le Senat américain, le Congres américain… A l’image d’un crime stalinien, on efface une population entière de la carte du monde et on réécrit l’histoire. Une fois le crime accompli, on édifie une base militaire qui sera au centre de toutes les interventions militaires visant l’Irak et l’Afghanistan et censées rétablir une justice internationale. Telle un grain de sable dans la mécanique du discours officiel, une seule question grippe la machine : « D’où décollent les bombardiers justiciers ? »
Visions de retour Diego Garcia, antre du mensonge et de la duplicité, Diego Garcia reste un cri du cœur, une suggestion magique qui confond en pleurs immédiats tout témoin à qui l’on demande d’évoquer ses souvenirs de l’île. Inversement les yeux pétillent de joie lorsqu’on demande ce que les témoins feront au moment où ils fouleront à nouveau le sable natal. Si quelques Chagossiens cèdent au pessimisme et n’y croient plus, la majorité garde l’espoir d’un retour. « J’y pense tous les jours en me levant, tous les jours en me couchant » confiera l’un d’eux. L’île mythique n’est plus qu’un monde imaginaire enfoui dans le regard larmoyant des derniers survivants. Dans la Bible, David finit par l’emporter sur Goliath. C’est le rêve de tous les Chagossiens. Et le mien aussi. Naïf, sans doute. Je sais bien qu’aucun film n’a le
pouvoir de transformer le cours de l’histoire. Peut-être réussirai-je par les images, à faire de ma colère un peu la vôtre et celle des téléspectateurs, tout en rendant au peuple chagossiens ce morceau d’enfance qui nous unit. Pauvre peuple ! Paisiblement installé dans son quotidien de dénuement, autrefois tenu captif avant d’être tenu dans l’oubli. Et l’homme chagossien dans tout cela ? A une époque où des migrations d’une autre ampleur sont en cours ou en préparation sur l’ensemble de la planète, migrations qui se révèlent inévitables faute d’avoir été prévenues de manière intelligente, il est à craindre qu’il ne pèse pas d’un grand poids à lui seul. C’est sans doute une raison de plus de ne pas l’abandonner, même si quarante deux ans déjà se sont écoulés depuis une certaine promenade au Jardin de la Compagnie…